lundi, mai 29, 2006

UNE SUITE DE GENS QUI DISENT AU REVOIR

Parce qu’aujourd’hui on a déjeuné dans un restaurant mexicain, je me suis rappelé qu’il y a très longtemps, je ne voulais manger que tex-mex. Quand exactement, où et pourquoi? Le contexte ne m’est revenu que vers la fin du repas. Comment expliquer sans rire qu’il y a 5 années de ma vie dont je ne garde aucun souvenir? Comme lorsque quelqu’un parle d'un film vu distraitement il y a des lustres. On se souvient l’avoir vu mais ne remontent que quelques images pas très nettes, une impression générale. Comme la vie d’un autre.
Dans le train, j’essaie de noter très vite ce dont je me souviens mais la liste ne dépasse pas la demi-page. Je ne parle pas de ce qu’il y a écrit sur mon CV parce que je suis sûr qu’il est faux:

A 21 ans je crois, je me brûle donc souvent les lèvres au son de trompettes mariachi. A part ça, l’armée m’exempte du service militaire. Sortant du centre de sélection je téléphone à ma copine mais c’est sa mère qui répond. Elle est très contente pour moi et je suis aussi heureux de parler 10 minutes avec cette femme que je ne rencontrerai jamais. L’année suivante, je passe quelques mois avec une fille aussi belle qu'insupportable. Son chien me mord. Je ne sais plus qui est parti le premier. Puis pendant un an je n’ai aucune relation sexuelle. Quand soudain je tombe fou amoureux d’une fille qui préfère les filles. Bientôt j’ai 25 ans et je veux être amoureux encore mais ne tremble alors que pour quelques connes à qui je ferais mieux de casser les jambes. Au même moment je suis veilleur de nuit dans un hôtel. La manageuse m’apprend que je remplace un type qui s’est fait poignardé par un client. Je couche avec elle dans une chambre du rez-de-chaussée. Elle se marie 2 semaines plus tard.
Le tout est ponctué de week-ends beaux et tristes avec mon frêre au bord de la mer, de réveillons systématiquement désastreux, de tentatives confuses de faire des choses mais une totale impuissance à les concrétiser.
Je me réveille à New-York en 98. La ville ne m’ impressionne pas (au sens photographique du terme) mais tout à coup, comment dire... Prendre l’avion devient quelque chose de possible.

Cet exercice de mémoire m’a occupé 2 heures. Aujourd’hui je suis à Tokyo, chez moi ou pas. Je sens juste que je tiens un peu mieux les choses, que je suis en chemin. Je traverse encore des parcs. Je croise toujours des gens que rapidement je vois de dos.
Et quelqu’un a épinglé mon âge sur ma veste pour ne pas que je l’oublie.


L'album “Not on Top” d’Herman Dune est excellent, ainsi que le dernier Phoenix “It’s never been like that” et celui de Thomas Mery “A ship, like a ghost, like a cell” qui sort aujourd’hui.

jeudi, mai 25, 2006

J'ECRIS DE LA MAIN DROITE COMME UN GAUCHER

Shinjuku san-chôme. La fille trouvait toujours quelque chose à dire. Non stop. La sonnerie de son mobile était un air que j’avais déjà entendu au combini. De son côté, le barman choisissait toujours un mauvais disque au milieu des bons. à la fin, lorsque que je faisais mine de partir, il essayait de me retenir avec A change is gonna come de Otis Redding, sans doute parce qu’il m’avait vu fermer les yeux là-dessus. Et bien sûr ça marchait, mais juste le temps de la chanson, ou parfois de deux s’il était trop occupé à écouter la fille et laissait filer Otis Blue.
Ensuite je suis tombé sur un bar où on n’écoute que Jackson Browne. Un concept improbable. L’homme au comptoir a une chemise à carreaux et les clients reprennent en choeur. Là, j'ai essayé de calculer le temps passé à faire et défaire des valises, à vider les lieux, à dire au revoir. Puis j'ai pensé aux canifs et aux contrats. Enfin je suis rentré.


Sur mon bureau
consignes de sécurité
à bord et chocolat
Jean-Paul Hévin
air conditionné
dans l’enveloppe l’argent
du loyer que je paierai demain
2 canettes de café
froid + un thé au lait
Françoise Dorleac en fond d’écran.
cendrier plein

lundi, mai 15, 2006

A PROPOS D'HIER

Je suis sorti dimanche dernier. C’est quelque chose que je ne fais pas trop ces temps-ci. Je suis allé à Meguro, à une fête donnée dans le bureau de Yasuko et Rumi. Elles s’occupent de management musical, pas mal axé sur le développement d’artistes français au Japon. Deux femmes ambitieuses donc.
J’ai retiré mes chaussures à 17H. Je les ai remises à 5H30. Entre les deux, il y avait une fille coréenne très belle qui a changé de chapeau en arrivant. Un chapeau d’extérieur et un d’intérieur: tout à fait le genre de détail que j’aime. Son copain gentil mais bizarre est resté caché aux toilettes la moitié du temps: rien à y redire non plus.
Un garçon français a joué du violoncelle. Monsieur Tokuda a fait la cuisine. Deux enfants jouaient sur le canapé.
Très tard, Rumi a parlé de son père toujours absent lorsqu’elle était enfant, de sa mère qui lui demandait régulièrement si elle avait idée de où il pouvait être. Aussi, par association d’idées sans doute, et comme certains peuvent rechercher le calme et la fraicheur des églises, elle se réfugiait dans les bureaux de poste. Des heures assises à regarder les gens envoyer et recevoir des nouvelles. Une passion qui l’a tenue longtemps puisqu’elle à même tenté d’y travailler, d’être au milieu de ces gens capables de communiquer. Mais l’employé chargé du recrutement s’est méfié de cette femme qui venait le solliciter après 15 années passées en France et dans l’industrie musicale.
Après ça, j’ai acheté un lit, me suis tondu le crâne, suis allé à la piscine. J’ai lu un truc philosophique qui cherchait à définir l’idée de “foyer” et je me suis laborieusement remis dans les chansons. La rouille dont on parlait... L’air ici est humide et tout se grippe rapidement. Maintenant ça va.
Nom de code: TOKYO ZÉRO DEGRÉ. J’ai 1000 bouts de textes, d’images, de suites d’accords que j’essaie d’organiser.
Pour me ravitailler je fais des aller-retours Aux Bacchanales, brasserie française en face de chez moi. J’y emporte toujours mon carnet au cas où les choses paraitraient plus claires en terrasse.

jeudi, mai 04, 2006

DEAN MARTIN

Après-midi de promenade ensoleillée dans le quartier de Kagurazaka. Très doux. Un bon endroit à vivre je pense.
Au Mugimaru café je bois des bières avec un boxeur amateur:
Le corps a toujours raison dit-il. Un oiseau qui décide de voler vers le sud n’a pas développé de théorie sur la question mais il a quand même raison. (...) La ligne droite est le plus court chemin du point A au point B, mais je tournerai toujours à gauche si mon corps me le demande.
Le boxeur a besoin d’être épuisé, de toucher ses limites physiques pour se sentir vivre . Il me dit que c’est sa recette du bonheur. Il me demande ce dont j’ai besoin pour être heureux. Tenté de citer Dean Martin en répondant “une bonne pipe, une bouteille de scotch et 10 000 dollars”, j’esquive en parlant de fabriquer des choses, des chaises ou des chansons. Ensuite, je ne reçois la discussion que par bribes: “Il faut dépasser les mathématiques. Tu fais le calcul et puis tu jettes le calcul”. Des trucs comme ça. A la fin, le boxeur s’endort devant sa bière.

Mon IPod n’a pas assez de mémoire pour supporter 1050 chansons. Moi non plus. Une douzaine me suffirait.

A 34 ans j’essaie de me raisonner. Les chansons sont toujours là et avancent par accoups. La plus vieille à 4 ans. Difficile de devenir la révélation pop franco-nippone tout en continuant de:
1, 2 et 3 - améliorer mon japonais pour qu’en cas de paternité je puisse expliquer à la mère pourquoi j’aimerais qu’on garde l’enfant et qu’elle me garde aussi. Puis un peu plus tard, pour éviter les situations du type “Désolé, papa pas comprendre, demande à maman”.
4, 5 et 6 - m’habiller chez Dior (par exemple), ce qui suppose des moyens physiques puisque Hedi Slimane n’a pas prévu de place pour les poignées d’amour, et financiers. Donc, ne pas m’éloigner des salles de sport et donner autant de temps et d’énergie que nécessaire au développement de mes petites affaires.
Mais je suis incapable de sacrifier quoi que ce soit, alors je laisse venir. Je laisse les choix se faire naturellement et continue à aller dans le sens d'une vie pleine de tout.

Je crois qu'il y a juste l’espace d’une main entre son cou et la pointe du menton.